Chefchaouen, c’est notre coup de cœur du Maroc. On pourrait passer des heures à arpenter ses ruelles bleues ou boire un bon thé à la menthe en observant les montagnes du Rif.

En arrivant dans cette petite ville en soirée, nous sommes épuisés et un peu sur les nerfs. Nous venons de nous taper plus de 9h de transport, Seth est encore malade et le propriétaire de la chambre d’hôte que nous avons réservé est introuvable. Nous avons déjà payé un acompte pour la première nuit, alors pas question de dormir ailleurs. Après une vingtaine de minutes, le propriétaire arrive enfin. On ne sait pas si c’est pour s’excuser de l’attente, mais le mec nous a surclassé. On passe d’une chambre simple au confort basique à une énorme chambre décorée comme à Disneyland avec un matelas XXL, un petit patio et une salle de bain privée. Le plus ? La vue imprenable sur la ville de Chefchaouen!

chefchaouen view

Nous observons le soleil se coucher sur la vallée au son des appels à la prières, particulièrement mélodieux à Chefchaouen. Peu de temps après, un père et son fils chantent en contrebas et leurs voix résonnent dans toute la ville. Entre la vue, les montagnes et les chansons, on se sent transportés immédiatement dans une atmosphère mystique.

 

Le saviez-vous ?

La ville de Chefchaouen doit son nom au mot berbère « achawen » qui signifie corne. En effet, les deux montagnes qui entourent la ville, Kelaa et Meggou, ressemblent à des cornes de chèvre. « Chefchaouen » ressemble un peu à la phrase berbère signifiant « regarde les cornes »

chefchaouen building

La tajine de l’arnaque

Avant de nous coucher, nous cherchons à manger un petit quelque chose. Le premier restaurant trouvé fera l’affaire. On nous tend une carte bilingue (arabe-français) et notre choix se portera sur une tajine toute simple. Problème : le serveur ne comprend pas ce qu’on veut commander. Au Nord du Maroc, les locaux parlent arabe, souvent espagnol, parfois français et anglais (pour ceux qui ont eu la chance d’avoir une longue scolarité). Le serveur ne comprend pas bien l’espagnol ni le français et on ne parle pas arabe. Heureusement il comprend vaguement l’anglais. Nous lui montrons ce que nous voulons sur la carte car c’est écrit en arabe, mais apparemment il ne sait pas lire. Après avoir répété plusieurs fois « Coca Cola, Tajine » le serveur semble comprendre et s’en va en cuisine.

Nous attendons tranquillement notre plat au son d’une musique raï en format midi diffusée sur une vieille chaine hi-fi poussièreuse, mal de tête garanti. Après quelques minutes, nos tajines arrivent, accompagnée de frites molles, salade défraichie et riz.

« Excusez moi, nous avons juste commandé des tajines. Pas de frite, salade ni riz.

– Pas de problème, c’est inclus dans le prix, avec la tajine !

– Donc tout ça coûte 30 dirhams ?

– Oui oui, c’est inclus

– Vous êtes certain ?

– Oui oui !

– Et le coca-cola ?

– Ça vient, ça vient. »

tajine

Nous avons presque terminé de manger (en nous forçant un peu, les frites molles ce n’est pas très bon) mais toujours pas de trace du Coca-Cola. Nous interpellons le serveur. Il nous explique qu’en fait il n’y a plus de coca et nous sert de l’eau du robinet à la place. Quelques secondes après, une bagarre éclate entre le serveur et un client dans le restaurant. Des coups au visage s’échangent, plutôt violent. Le patron du resto s’interpose entre les deux individus, le client part… À ce moment là, le patron fout une baffe au serveur, lui hurle dessus et retourne travailler. Nous nous faisons tout petits et mangeons à toute allure pour nous barrer au plus vite. Ça commence à sentir mauvais cette histoire.

Nous demandons l’addition et là, surprise ! Le patron nous demande de payer pour les frites, le riz et la salade. Nous devons expliquer calmement qu’on ne l’avait pas commandé, que nous l’avons indiqué au serveur et que ce dernier nous a assuré que c’était inclus avec les tajines, pour 30 dirhams. On s’est forcé à terminer nos assiettes parce qu’on n’aime pas gâcher. Le patron nous gueule dessus, puis sur le serveur. Comme pour le remboursement des billets de bus plus tôt dans la journée, Seth n’a pas le choix que de commencer à hausser le ton aussi et interpelle le serveur qui reste muet dans un coin du restaurant: « tell your boss what you told us earlier ». Moi je ne sais plus où me mettre et je flippe bien vu les coups violents qui ont été échangés quelques minutes auparavant. Finalement, l’insistance de Seth nous permet de nous en sortir sans nous faire arnaquer. L’atmosphère était très tendue, tout le monde en avait après tout le monde. On évitera ce resto pour le reste de notre séjour ici…

L’appel à la prière comme réveil matin

Nous apprécions moins l’harmonie de l’appel à la prière quand cela nous sort du lit à 5h… Mais nous adorons aussi explorer une ville au petit matin, quand tout est encore endormi. L’appel à la prière est particulièrement puissant à Chefchaouen. Les prières résonnent dans les montagnes et il est impossible de ne pas se faire réveiller.

 

Quand les premiers rayons de soleil frappent la ville, les différentes nuances de bleu des rues de Chefchaouen se révèlent.

chefchaouen blue

La quasi-totalité des maisons de la ville a des touches de bleu. On passe du bleu roi au bleu ciel, du bleu pastel au bleu marine, du bleu nuit au bleu turquoise… Nous avons eu la chanson d’Aladdin « ce rêve bleu » en tête toute la journée !

 

 

Pourquoi la ville de Chefchaouen est-elle bleue ?

La couleur de la ville est intimement liée à son histoire. Chefchaouen a été fondée au XVème siècle et a pris de l’ampleur grâce aux juifs et aux maures qui fuyaient l’inquisition espagnole. Certains juifs ont alors peint les maisons en bleu. Avec la montée du nazisme, de nombreux juifs ont de nouveau fuit vers Chefchaouen. Ce sont eux qui ont complétement repeint la ville en bleu. À la fin de la guerre, la plupart d’entre eux sont partis pour Israël mais la tradition est restée.

chefchaouen teinte

Chaque année, la ville investit des milliers de dirhams pour aider les habitants à acheter de la peinture et perpétuer la tradition. L’investissement est rentable, car cette particularité attire beaucoup de touristes !

chefchaouen flower

chefchaouen

Mais pourquoi, à travers le temps, ces juifs ont-ils peint les maisons en bleu ? Plusieurs hypothèses existent :

  • Le bleu représenterait la couleur du commencement : du ciel et de la mer (beauté créées par Dieu), l’inspiration et la possibilité d’une nouvelle vie spirituelle.
  • Le bleu est aussi une couleur de la divinité dans le judaïsme.
  • Le bleu éloignerait les insectes, notamment les moustiques, car les moustiques n’aiment pas l’eau claire. Cela pourrait expliquer pourquoi chaque fenêtre ou porte est entourée de bleu.
  • Le bleu aiderait à garder une température fraiche à l’intérieur des maisons et des rues.

Dans les ruelles de Chefchaouen

Les petits commerces ouvrent, vendant tapis, bijoux, fruits et légumes des montagnes, vache qui rit et jus d’avocat. Beaucoup d’artisans travaillent le cuir, le bois, les tissus et les métaux en les teintant de bleu.

chefchaouen woman

Nous croisons des centaines de chats, la plupart du temps des chatons, amaigris et mal en point. Les chiens sont rares, étant chassés de la ville par la plupart des locaux.

chefchaouen cat

chefchaouen cat

chefchaouen cat

chefchaouen cat

Le vêtement traditionnel des habitants de la ville semble être la djelabba bleue. Les berbères des montagnes portent des grands chapeaux de paille recouverts de pompons colorés et des tissus rayés en guise de jupe (mendil), c’est super stylé !

chefchaouen

chefchaouen clothes

Comme dans de nombreuses villes marocaines, nous voyons des fours communs (pour faire cuire le pain) et des fontaines… mais la plus jolie est certainement celle de la place El Hauta. C’est l’endroit parfait pour siroter un jus d’orange frais ou un thé à l’ombre en regardant les enfant jouer au football.

chefchaouen fontaine

Chefchaouen semble vraiment sortir d’une autre époque, entre ses couleurs bleues et blanches, ses vieux pots de fleurs bariolés, ses dizaines de mosquées historique et son architecture particulière. Pas besoin de hamman, il fait déjà super chaud et humide dans les rues ! Les locaux vont souvent se rafraîchir près de la cascade Ras El Maa à l’Est de la ville qui n’a de cascade que le nom. C’est surtout un spot pour faire sa lessive et boire un thé chaud. Les jours d’affluences, les détritus jonchent le sol et des petits stands sont disposés le long de la rivière.

Chefchaouen, le joyaux préservé

Entre le XVème et le début du XXème siècle, la ville de Chefchaouen était interdite aux chrétiens. Elle subissait régulièrement des attaques des espagnoles, des portugais et des royalistes marocains mais elle a su résister jusqu’en 1920. Entre 1470 et 1920, seuls trois chrétiens ont réussi à rentrer en ville : un français déguisé en rabbin (qui y a passé 1h à la fin du XIXème siècle), un américain que les locaux ont démasqué et qui a été empoissonné et un journaliste britannique.

chefchaouen door

Quand l’Espagne s’empara de Chefchaouen en 1920, les soldats furent surpris de constater que la langue parlée était « l’espagnol du XVème siècle » !

chefchaouen minaret

Au détour d’une ruelle, nous tombons sur une vieille bouquinerie. Étant adepte des vieux ouvrages, nous entrons y jeter un œil et tombons sur Abdoulkader, le bouquiniste passionné. Il nous parle de sa vie entre Marrakech et Chefchaouen. Il est super fier de nous montrer ses livres, mais aussi toutes les coupures de presse dans lequel il apparait. Nous essayons de négocier avec lui quelques cartes postales, malgré la négociation quelque peu tendue tout s’est bien terminé, il a même insisté pour qu’on fasse une photo ensemble. Qui sait, ce cliché trouvera peut-être une place dans sa collection ?

chefchaouen library

Enfin une bonne tajine

Le midi, nous trouvons un petit resto charmant qui deviendra notre adresse préférée pour manger à Chefchaouen. Les portions sont généreuses, les plats sont goûteux, la nourriture est bon marché et le serveur sympa. Ça nous change de la veille !

chefchaouen tajine

Restaurant Assaada

Environ 25 dirhams (2,34€)  le plat et 40 dirhams le menu (3,75€)

Rue Abi Khancha, Chefchaouen

Attention : évitez de commander à bouffer à l’heure de la prière, vous risquez de vous retrouver avec une tajine cramée !

Randonnée dans les montagnes du Rif

D’habitude nous adorons marcher, mais comme Seth est encore mal en point, on prévoit une toute petite randonnée. Au programme, une marche dans les montagnes du Rif, en passant par une vieille mosquée en ruine qui surplombe la ville et quelques plantations de cannabis. Si nous sommes en forme, on poussera jusqu’à une cascade et une petit grotte.

chefchaouen mosque

Et oui ! Chefchaouen a longtemps été une des plaque tournante du « kif », le cannabis du Maroc. D’ailleurs, la ville était boudée des touristes pour cette raison. Ce sont des mesures gouvernementales pour réduire le trafic qui ont rendu Chefchaouen moins dangereuse à partir de 1992. Consommer du « kif » est toléré pour les locaux mais sévèrement réprimandé pour les étrangers.

Il est déconseillé de s’approcher trop des plantations. Les cultivateurs peuvent parfois être menaçant (parce que vous n’achetez pas de drogue ou que vous trainez sur leur terre). Certains touristes ont déjà reçus des jets de pierres et été menacés, fusil à la main.

Bref, nous partons tôt, longeant la rivière Fouara puis commençons l’ascension vers la vieille mosquée. La vue sur la ville est fabuleuse avec le soleil qui illumine la vallée au petit matin. Les chants des coqs résonnent. Malheureusement, la beauté du paysage est un peu gâché par la maladie de Seth qui lui fait faire des pauses forcées dans les buissons.

Nous passons dans des petits hameaux, dépassant des bergers, des chèvres et de chiots adorables. Jusqu’ici tout va bien.

Nous arrivons à la vieille mosquée Jemaa Bouzaf et décidons de nous y poser pour y prendre notre petit déjeuner : des biscuits au chocolat acheté la veille.

chefchaouen city

Les chiens errants de Chefchaouen

C’est à ce moment là que débarquent trois chiens errants, certainement attirés par l’odeur des gâteaux. J’ai la phobie des chiens, mais là je suis particulièrement angoissée car la rage est présente au Maroc. Plusieurs locaux nous ont dit de nous méfier des chiens errants à Chefchaouen car ils peuvent se montrer agressifs. Nous rangeons les biscuits fissa, espérant que les chiens partiront, mais ils décident de devenir nos « compagnons ». L’un d’entre eux pose sa tête entre les jambes de Seth. On voit littéralement des puces sauter au niveau de sa tête. Les deux autres chiens ont l’air d’avoir la gale ou la teigne.

Pour les éloigner on aurait pu leur jeter des gâteaux au loin, mais nous n’avons que des biscuits au chocolat, qui sont donc toxiques pour les chiens et ils en auraient surement voulu plus. Les chiens sont de plus en plus excités, ils aboient, commencent à nous monter dessus avec leurs pattes avant. Nous reprenons donc la route pour essayer de les semer. C’est à ce moment là que deux des chiens commencent à croquer mon pantalon (heureusement bien large). Seth monte sur un petit muret. Il est en short et craint pour ses mollets. Les chiens suivent son exemple et commencent à passer entre ses jambes. Nous pressons le pas. Seth porte nos deux sacs à la hauteur de sa tête en espérant que l’odeur des gâteaux n’arrive pas jusqu’à leur museau. Ils aboient, courent, nous attendent, mordent mon pantalon à nouveau. Ils nous ont pris en chasse et ne veulent pas nous lâcher…

Il est très tôt, il n’y a personne à proximité et nous sommes complètement à découvert. Une seule solution : retourner en ville calmement mais prestement. La route sera en descente, ça ne devrait pas être trop long. On se dit que les chiens n’oseront jamais nous suivre dans les ruelles (vu qu’ils se font facilement caillassés par les locaux). Continuer la randonnée nous semble impossible dans ces conditions.

Après de longues minutes de marche rapide, nous arrivons enfin en ville. Les deux chiens les plus agressifs n’osent plus nous suivre. Le troisième continue son chemin avec nous. Les locaux et touristes que nous croisons semblent stressés par le chien. Qu’on accélère ou qu’on ralentisse, il nous attend. Nous réussissons à le semer dans un virage (en faisant demi-tour pour prendre une autre ruelle). On culpabilise presque… Après tout ce temps on s’était presque attaché à lui.

chefchaouen chien

Le retour du chien errant

Pour nous remettre de nos émotions, nous dégustons un grand thé à la menthe dans le centre-ville. Nous sommes encore stressés par ce qui vient de nous arriver. On se rachète des biscuits et des pâtisseries. Angoisser, ça creuse !

chefchaouen tea

Sur le chemin du retour vers notre hôtel, nous tombons nez-à-nez avec le chien suiveur. Cette fois, on a des biscuits sans chocolat, alors on décide de lui en donner quelques uns pour récompenser sa persévérance (et surtout pour le remercier de ne pas avoir essayé de nous croquer, contrairement à ses deux potes.)

Au final nous avons bien fait de rentrer car l’orage gronde. Cela rend fou les étourneaux qui virevoltent dans le ciel de façon gracieuse. Tant pis pour notre rando.

Jour de souk à Chefchaouen

Tous les lundi et jeudi, c’est jour de souk à Chefchaouen. Le jour de notre départ est un jour de marché. Les berbères descendent de leur montagne, portant parfois sur leur dos des sacs énormes de produits qu’ils espèrent vendre au plus offrant. Nous dégustons un petit déjeuner dans un café en observant le ballet des vendeurs.

chefchaouen crepe

On voit à plusieurs reprises des militaires chasser des berbères (alors qu’ils ne font pas cette demande aux locaux, installés juste à côté). Nous ne savons pas trop si c’est de l’abus de pouvoir, de la discrimination ou relatif à une loi qui nous est inconnue. Hélas nous avons peu de portraits des locaux et des berbères, la plupart refusant catégoriquement d’être pris en photo et nous le faisant bien comprendre.

 

 

Au-revoir Chefchaouen

Il est déjà temps pour nous de rejoindre la gare routière. Nous quittons Chefchaouen avec le goût d’y revenir dans quelques années. Nous n’avons pas pu explorer les montagnes comme nous l’aurions souhaité. Il parait qu’il y a vraiment de chouettes treks à faire dans le coin. La route entre Chefchaouen et Fès est jolie mais très sinueuse. Il ne faut pas avoir le mal des transports pour profiter pleinement des paysages.

chefchaouen plaines

Nous passons entre des montagnes et des plaines, des forêts de chênes, des dunes et même des champs de cannabis ! A défaut d’avoir pu en apercevoir en randonnée, on en aura vu depuis le bus ! Sur la fin du trajet, nous passons sous des centaines de cigognes, au milieu des collines colorées et des lacs turquoise.

maroc lake